Le Président

 

A

 

Monsieur Ronan KERDRAON

Sénateur des Côtes d’Armor

Palais du Luxembourg

75007 PARIS Services Publics

 

Monsieur le Sénateur,

 

Dans l’édition du Télégramme daté du 11 Mars 2011 cohabitent un compte-rendu de votre intervention lors de la séance des questions au Gouvernement sur « l’affaiblissement de la présence postale » dans le département des Côtes d’Armor et un communiqué de presse de Mr Bailly, Président de La Poste.

 

Je partage votre désarroi. Orchestré depuis une dizaine d’années, ce déclin se généralise à l’échelle de notre pays. Par touches successives, cette politique nationale de La Poste a transformé la quasi-totalité des bureaux de zone rurale ou périurbaine, en bureaux annexes, agences postales communales ou points-Poste. Si les bureaux annexes assurent 80% des opérations, les agences postales et surtout les points-Poste sont dotés de services restreints. A terme, ces bureaux disparaîtront, car la réalité comptable l’emportera sur la mission de service public.

 

Votre découverte de ce constat amer me surprend. Car enfin, votre groupe parlementaire n’a-t-il pas soutenu et voté la Loi du 02 Juillet 1990 portant réforme des PTT défendu par Mr Paul Quilès, Ministre du Gouvernement Rocard, sous la Présidence de Mr François Mitterand ? Cette Loi préparée par Gérard Longuet (Droite) durant la première cohabitation, puis adoubée par la Gauche portait en elle, tous les germes du démantèlement d’une administration d’Etat. Aucun groupe parlementaire à cette époque ne s’est soucié de sa constitutionnalité. La connivence Droite-Gauche sur la promulgation de cette loi est évidente.

 

Pourtant, pas à pas, notre feu Administration s’était construite durant plus d’un millénaire. Au fil des siècles, elle avait toujours su évoluer, se moderniser au service des usagers et contribuer à l’éclosion d’une cohésion nationale. En 20 ans, cette Loi a décapité un fleuron de nos services publics.

Depuis 1990, l’EPIC France-Telecom est devenu par des lois successives, une société anonyme à capitaux privés et l’Etat un actionnaire minoritaire. La Poste suit le même chemin.

 

La Loi de Mars 2010 a transformé La Poste d’Epic en Société Anonyme à capitaux publics. Les prochaines échéances sont inéluctables : ouverture aux capitaux privés avec l’Etat majoritaire puis minoritaire.

 

Certes, vous vous êtes opposé à cette dernière Loi. Cependant, vos constats d’aujourd’hui sont les conséquences de la Loi adoptée le 02 Juillet 1990. Car au-delà du déclin de la présence postale, se pose les problèmes de fonctionnement et la situation des employés.

 

Sa gestion de droit privé a transformé les usagers en clients. La nuance est très importante. Elle se traduit par une facturation de l’ensemble des services et une escalade des prix sur tous les produits (hors la lettre de moins de 20 g… car elle entre dans l’évaluation de l’indice des prix à la consommation).

 

Pouvez-vous affirmer, comme le prétendaient les initiateurs de la Loi, que La Poste assure aujourd’hui de meilleurs services aux citoyens ? Pouvons-nous comprendre le rachat de La Poste Grecque et l’abandon de nos petits bureaux ? Pouvons-nous accepter son découpage en de multiples filiales dédiées à séparer les services à des fins mercantiles au détriment d’une mission de service public ? Pouvons-nous accepter le placement à la tête de ses filiales d’anciens dirigeants pour l’octroi du bénéfice d’une seconde carrière et des remises cossues ? Pouvons-nous comprendre le simple rôle de prestataire de services exercé pour le compte de la Banque Postale (ex C.C. P privatisé) et la Direction du Courrier (Tri, distribution) par nos bureaux de postes ?

 

Je pourrai à foison multiplier les interrogations. Le cadre de la Loi prédisposait à de tels résultats. Nos technocrates, sous l’œil bienveillant de nos divers ministres se sont engouffrés pour publier des décrets pourvus de multiples perversités. La frénésie de légiférer a occulté aux parlementaires leur devoir de contrôle sur l’application de la Loi. Nos organisations syndicales constatent les méfaits de manière spasmodique sans contester devant la Justice Administrative.

 

Les effets de cette Loi ne se traduisent pas simplement sur le fonctionnement de La Poste et le « déclin de la présence postale sur le territoire », elle attaque surtout la vie au quotidien de l’ensemble du personnel.

 

Dans l’article de presse du 11 Mars 2011, le Président de La Poste annonce une perte de 11700 emplois cette année. En 20 ans, La Poste aura perdu 100 000 emplois. Certes elle ne licencie uniquement que les agents pour inaptitude physique (ils sont de plus en plus nombreux, avec l’aval des médecins de prévention de La Poste) ou pour fautes graves. Cependant elle présente des incitations au départ, en réalité synonyme de plan social, avec parfois des cessations d’activité à 52 ans et demi. Et dans le même temps, elle infantilise, presse les agents au travail. Les objectifs toujours dressés à la hausse conduisent chacun à se justifier régulièrement. Chaque geste est compté, mesuré, évalué. Les restructurations se succèdent à un rythme effréné. La délation s’installe.

Cohabitent plusieurs catégories de personnel : les Fonctionnaires (arrêt de recrutement 1992), les agents de droit privé en contrat à durée indéterminée et de nombreux CDD utilisés de manière abusive au mépris du Code du Travail.

 

Le recrutement exclusif d’agents de droit privé engendre des frustrations énormes pour les classes d’exécution et de maîtrise. Leur salaire est de 10 à 40 %inférieur au traitement des fonctionnaires pour un travail strictement identique. Les fonctionnaires sont classés en deux catégories : les « reclassés » et les reclassifiés ». Les « reclassés » sont des agents qui ont conservé leur statut de fonctionnaire d’Etat contesté par La Poste. Leur carrière est bloquée depuis 1993. Demeurent dans cette situation 6486 agents. Pour notre part, depuis quatre ans, nous avons instruit une action en Justice et celle-ci tend à nous donner raison. Le Tribunal Administratif de Rennes vient récemment de reconnaître la faute de l’Etat et de La Poste et accorder 152300 euros d’indemnités pour 34 agents. Le Conseil d’Etat vient d’ordonner par un décret du 14 Décembre 2008, l’obligation d’organiser à nouveau des tableaux de promotion.

Après un saupoudrage financier en 1993, les « reclassifiés » sortis en partie du statut de la fonction publique ne bénéficient pas, tout comme les « reclassés », des réformes récentes des grilles indiciaires catégorie B et C. Leur situation également se dégrade.

 

Au-delà de ces situations de carrière catastrophiques, l’opacité, l’arbitraire, au niveau des promotions, mutations règnent. La Poste use du droit public ou privé selon ses nécessités et les fantasmes de sa hiérarchie, pas toujours à bon escient. Pire, elle fomente un droit hybride pour assoir ses dérives.

 

J’ai tenté de vous résumer avec brièveté la situation de La Poste et de ses agents. J’espère vous avoir convaincu que le seul problème ne réside pas dans le « déclin de la présence postale sur le territoire ».

Votre question rapportée au Gouvernement dans la presse locale peut faire son effet mais 90 % des postiers ne sont pas dupes des ravages provoqués par cette loi de 1990. Au demeurant, pour les « reclassés », ce genre d’intervention à maintes fois été réitéré par des parlementaires de toutes tendances. Seule la Justice a fait évoluer la situation.

 

Nous ne sommes qu’aux prémices du démantèlement général de feu les PTT. L’évolution de La Poste vous surprendra encore. Vous aurez tout loisir de vous en offusquer. Quel sera le candidat aux élections présidentielles susceptible de présenter dans son programme l’abolition de la Loi de 1990 et proposer un retour aux sources de La Poste en administration d ‘Etat ? Après tout, la République peut reconnaître s’être trompée et de nouveau réaliser une nouvelle « nationalisation » comme celle effectuée par Louis XV en 1775.

 

Peut-être serez-vous Monsieur le Sénateur, à l’initiative au sein du Parti Socialiste, d’une grande réflexion sur l’évolution de La Poste ! Réagissez avant la prochaine loi de rentrée des capitaux privés ! Ou alors, par décence, n’intervenez plus à ce sujet ! Acceptez les conséquences de votre orientation, de vos choix et de vos votes.

 

Je vous prie, Monsieur le Sénateur, d’être assuré de ma plus grande considération.

 

Alain COATLEVEN

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