Gagnée par ce bain de jouvence, sous l'emprise d'un état paradisiaque notre narratrice de manière dithyrambique et suave allonge sa prose « à l'horizontale sur les tapis ou à la verticale, le professeur de yoga leur a appris à respirer, à méditer et à se détendre à travers des techniques et postures qu'ils pourront refaire facilement chez eux.... L'atelier de sieste flash a remporté tous les suffrages... Cet apprentissage les a amenés dans un état de repos total sans tomber dans le piège de la sieste qui peut amoindrir les performances au réveil si elle est trop longue ».
Quel lyrisme ! Que c'est beau ! Quelle tendresse ! J'ai avalé ces lignes. J'ai retenu ma colère. Celle-ci apaisée, j'ai relu avec délectation, ironie pour mieux appréhender le style de l'écrivain en phase avec la situation. Mais loin de tomber dans le piège du sommeil total, je fus au contraire inondé de mépris et de dédain.
Le précédent numéro de JourPoste relatait la convention des cadres de la Banque Postale en « désertion » à St Malo. Pour eux, pas de yoga... mais un rallye en 2CV. Les résultats 2015 pourraient les entraîner à la hausse vers des 4L ou à la baisse vers une brouette. Je ne parviens pas à accepter l'existence de telles méthodes d'asservissement de l'être humain.
Quel mépris envers la grande masse des postiers contraints de subir au quotidien des mesures drastiques, des pressions, des remarques désobligeantes, des restructurations qui altèrent leurs vies professionnelles et familiales !
Nos cadres n'auraient-ils pas besoin de formation sérieuse dans leurs domaines de compétence et surtout dans la gestion du personnel ? Leurs carences, sur ce dernier point, sont patentes et probablement entretenues par la hiérarchie.
N'ont-ils pas honte sur la photo ? Pourquoi se cachent-ils le visage de manière à ne pas être distingués ? Ce mouvement de yoga est vraiment approprié ! Qui a refusé le jeu de cette pratique sectaire ? Un jour viendra où du Viaduc de Millau, l'ordre leur sera donné de sauter. Malgré tout, j'ose espérer qu'ils seront pourvus d'un élastique.
Je suggère à tous les postiers d'appliquer à la lettre la « sieste flash » préconisée lors de cette convention pour mieux, comme le souligne, le cadre dont je tairai le nom, « prendre conscience de mon corps progressivement, ça m'a complètement détendu. Les ateliers permettent aussi de se découvrir en collectif et de briser la glace avec des collègues ».
« A renouveler », conclut-il avec enthousiasme. La glace a-t-elle vraiment été brisée, lors de ce « zen, soyons zen » ? La narratrice envoutée ne l'affirme pas. Sur la photo, cela ne transpire pas. Je lis plutôt l'anxiété, la contrainte, la soumission, la peur de l'affirmation de soi.
Mais peut-être a-t-elle été brisée sur les tapis à l'horizontale. Et là, je crains le pire... d'autant que la parité est loin d'être respectée. Mais après tout... détendons-nous !
Pourquoi m'insurger devant un tel déferlement de « bien-être »? Parce que La Poste par ailleurs renâcle au bien être de la quasi-totalité des agents. Elle déploie son énergie à rechercher des gains de productivité. Les conventions, les évasions, les restaurants, les récompenses, les gratifications, réservés à une caste, sont-ils sources de gain en retour ou plutôt une forme sectaire de gestion des cadres ?
Les initiateurs de cet « art » sont à plaindre. Sous cape, ils doivent se gausser de la stupidité, du manque de personnalité de leurs subalternes collaborateurs.
Accepter cela, c'est violer sa dignité.
La soumission engendre le mal être.
Le bien-être au travail ? Un euphémisme.
Pour tenter de l'approcher, il convient de ne jamais abandonner le combat.
Alain COATLEVEN